Qu'est ce que le capital humain ?
- momokamara5
- 8 mars 2024
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1) Les fondements du concept de capital humain
Le concept de capital humain a longtemps été étudié par les économistes avant d'être introduit dans le monde de la gestion. Dès le XVIIIème siècle l’économiste écossais Adam Smith dans son œuvre The Wealth of Nations faisait le lien entre la croissance économique et les compétences des travailleurs. En cherchant à déterminer les sources de richesses des nations, Adam Smith met en avant l’importance des agents économiques et de leurs compétences dans la croissance et pose les bases de ce qui allait devenir par la suite la théorie du capital humain.
Plus tard au cours des années 1920, se développe en réponse aux excès du taylorisme la théorie des relations humaines supportée par le psychologue Abraham Maslow et le sociologue Elton Mayo. Ces derniers placent l’employé comme un atout clé des organisations, source de création de valeurs grâce notamment à ses capacités d'innovation et ses aptitudes à nouer des relations durables avec les parties prenantes.
Ces développements théoriques sont venus nuancer la vision de l'organisation des entreprises qui s’imposait jusqu’alors et ont apporté un œil nouveau sur l’importance des individus dans la création de richesse. Certains économistes ont commencé à considérer les connaissances et compétences des agents économiques comme une forme de richesse pour l’entreprise, sources actives de création de valeur durable et de performance.
C’est en 1961 que la notion de capital humain fut introduite par l’économiste américain Théodore Schultz. Il définit le capital humain comme l’investissement en éducation réalisé tant bien par les individus eux-mêmes mais également par les institutions afin d’augmenter le stock de connaissances et de savoir-faire des individus. Selon lui, ce stock permet aux agents économiques d’obtenir une meilleure rémunération et de se prémunir face au risque de chômage. Il écrit « qu’il apparaît évident que les individus acquièrent des savoir-faire et des savoirs utiles, il n’est pas si évident que ces savoir-faire et savoirs constituent une forme de capital [et] que ce capital soit pour une part substantielle le produit d’un investissement délibéré.» (Schultz, 1961). Issu lui-même d’une famille agricole, Schultz va s’intéresser au facteur travail et son impact sur la rentabilité des exploitations agricoles. Il en vient à expliquer qu’une meilleure utilisation des ressources agricoles n'entraîne pas obligatoirement une augmentation du revenu. Selon lui, il existe une dichotomie entre la sphère de la production et la sphère de la distribution du revenu. Alors que les nouveautés en termes de pratiques et de techniques agricoles sont la source d’avancées rapides elles sont également la cause de la diminution des besoins de travailleurs créant donc un surplus de main d’œuvre source de disparités des revenus. Schultz va émettre pour la première fois l’idée d’investir dans les agents économiques pour tenter de réduire ces disparités. Il soutient que l’intervention de l’État pour favoriser l’accès au savoir grâce à une baisse des taux d'intérêts notamment permettrait aux agriculteurs d’investir dans de nouvelles compétences et bénéficier ainsi de nouvelles opportunités de travail. Investir dans le capital humain grâce à l'éducation permettrait donc de transférer le surplus de main d’œuvre vers d’autres secteurs de l’économie. Schultz est le premier économiste à faire le lien entre l’investissement en capital humain et la rentabilité ainsi que la productivité (Schultz, 1961).
C’est l’économiste américain Gary Becker qui est à l’origine du développement de la théorie du capital humain grâce à une étude où il cherche à déterminer l’origine des différences de salaires en s'intéressant au retour sur investissement de l’éducation. Il explique qu’en tant qu’individu on accumule tout au long de notre vie une quantité de compétences et de connaissances formant notre capital humain. Il définit le capital humain comme «l'ensemble des capacités productives qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc. » (Gary Becker, 1993). Ces capacités sont le résultat d’investissements réalisés de manière consciente (éducation, formation) ou inconsciente (relations humaines, expériences). Elles sont le résultat d’un long travail et requiert un investissement qui représente un coût financier et un coût d’opportunité. On retrouve ce coût d'opportunité dans les travaux de l’économiste Jacob Mincer comme étant le manque à gagner de revenu si un individu retarde son entrée sur le marché du travail. Ainsi le fait de choisir d’investir dans l’éducation aujourd'hui pour bénéficier d’avantages futurs signifie que le passé, le présent et le futur sont étroitement liés. Nos choix sont donc réalisés en comparant les avantages futurs dont nous pourrons bénéficier et le coût de l’investissement aujourd'hui (Mincer, 1974). De même les décisions actuelles sont le résultat d’investissements passés qui eux même produisent notre capital. En reconnaissant l’accumulation des compétences et des connaissances comme un stock de capital Gary Becker offre un cadre à l’essor du capital humain. En effet, il soutient que les investissements en éducation et formation visant à améliorer notre stock de connaissances et savoir-faire ont un impact positif sur la productivité et les salaires.
La théorie du capital humain a également une accroche au niveau macroéconomique via la théorie de la croissance endogène. Développée à la fin du XXème siècle par les économistes Paul Romer et Robert Lucas, cette théorie vient pallier les défauts de la théorie exogène de la croissance en proposant une origine interne au progrès technique. En effet ce dernier serait étroitement lié aux agents économiques, si bien que Robert Lucas finit par introduire dans son modèle la dimension de capital humain (noté H) qui est associée avec la dimension de capital physique (noté K) à la fonction de production F(K,H). Ainsi cette théorie met l'accent sur les agents économiques et leur capital humain associé dans la création de valeur.
D’autres auteurs et économistes se sont intéressés à ce sujet. Selon le politique américain Horace Mann la valeur économique des individus est basée sur leurs réussite scolaire, leurs compétences et leurs connaissances. Investir dans l’éducation améliorerait donc la qualité du travail effectué et serait en définitive source de richesse. De son côté le sociologue Daniel Bell, dont les travaux émergent lors de la troisième révolution industrielle, soutient que la main d’œuvre future devrait nécessiter davantage de compétences éducatives et académiques (Daniel Bell,1973).
Ainsi on ne peut s'empêcher de remarquer que depuis plusieurs dizaines d’années, le capital humain est la source de nombreux travaux. Si beaucoup d’auteurs, économistes et professeurs s’accordent à dire que cette théorie recouvre l’ensemble des investissements réalisés en faveur de l'être humain afin qu’il travaille plus efficacement dans la production de bien et services. D'autres mettent en avant les limites de cette théorie et ses fondements fragiles.
C’est notamment le cas du sociologue français Pierre Bourdieu qui dans ses travaux soutient que l’éducation n’est pas la principale source de productivité car elle est uniquement un moyen de sélectionner les individus plutôt qu’un outil servant à développer leurs compétences. La théorie du signal remet également en cause les fondements de la théorie du capital humain. Dans la mesure où il existe une incertitude sur la productivité des salariés, le signal fournit par l’éducation est uniquement un moyen de diminuer les asymétries d’informations. L’éducation ne serait donc pas une cause directe de la productivité. La théorie des incitations salariales propose un raisonnement complètement opposé à celui développé par Becker. Selon cette théorie, ce serait l’augmentation des salaires qui serait à l’origine de l’amélioration de la productivité des employés. Nous constatons donc que les défendeurs et les détracteurs du capital humain sont nombreux. Afin de clarifier le débat existant il semble nécessaire d’apporter une définition précise du capital humain.
2) Définition du capital humain
Du point de vue de l’entité juridique on distingue deux formes principales de capital : le capital physique et le capital financier. A ces deux formes s’ajoute le capital immatériel, lui-même composé du capital organisationnel, du capital relationnel et du capital humain (Edvinsson & Malone, 1997) (Sveiby, 1997). Selon l’observatoire de l’immatériel le capital immatériel « représente l’ensemble des actifs d’une organisation qui ne sont ni financiers, ni matériels. Ils sont souvent exclus du bilan de l'entreprise. Ils sont pourtant créateurs de valeur, distinctifs et pérennes. Ils constituent un levier majeur de compétitivité pour les organisations. » (Observatoire de l’immatériel, 2020). On peut donc distinguer deux types de capital immatériel que l’on retrouve dans le schéma ci-dessous : le capital relationnel et le capital humain.
Figure : Cartographie des immatériels de l’entreprise (Laurent Cappelletti, 2012)
D’un point de vue comptable, aucun référentiel ne propose de définition précise du capital humain. Selon le Vernimmen le capital humain se définit comme « l’ensemble des compétences, des techniques ou des pratiques possédées par une entreprise qui lui permettent d'obtenir une rentabilité supérieure à la rentabilité minimale exigée par ses pourvoyeurs de fonds. » (Vernimmen, 2022).
L’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique) le définit comme étant « un bien immatériel qui peut faire progresser ou soutenir la productivité, l’innovation et l’employabilité ». Il recouvre « les connaissances, les qualifications et les autres qualités d’un individu qui favorisent le bien être personnel, social et économique » (OCDE, 2021).
Le professeur au Conservatoire National des Arts et Métier Laurent Cappelletti considère le capital humain comme « l’ensemble des aptitudes physiques comme intellectuelles de la main d'œuvre favorable à la production économique » (Laurent Cappelletti, 2012).
En s’intéressant de plus près aux différentes formes de capital humain nous pouvons en distinguer trois (Gibbons et Waldman, 2004) :
● Le capital humain général, vient essentiellement de l'éducation que nous recevons et n’est pas spécifique à une entreprise.
● Le capital humain spécifique à la tâche, correspond aux connaissances développées via la répétition d’une action, et provient donc principalement de nos expériences professionnelles. Il est en ce sens propre à un métier.
● Le capital humain spécifique à l’organisation, se forme en fonction des besoins de l’entreprise.
Les deux premiers peuvent facilement être exportés d’une organisation à une autre. Cependant quand un individu quitte une entreprise il perd le capital qui lui était spécifique.
En prenant en compte l’ensemble des travaux théoriques réalisés sur ce sujet et les définitions actuelles, on peut s’accorder à définir le capital humain comme l'ensemble des compétences et des connaissances découlant des investissements réalisés en faveur d’un agent économique et acquis par l’expérience, qui lui permettent de travailler plus efficacement dans la production de biens et services et qui contribuent à la performance de l’entreprise. Il s’agit de la valeur ajoutée des compétences humaines dont dispose l’entreprise. Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) propose une définition de la compétence : « La compétence professionnelle est une combinaison de connaissances, savoir-faire, expériences et comportements, s’exerçant dans un contexte précis. Elle se constate lors de la mise en œuvre en situation professionnelle, à partir de laquelle elle est valable. C’est donc à l’entreprise qu’il appartient de la repérer, de l’évaluer, de la valider et de la faire évoluer. » (MEDEF, 1998). Dès lors, le capital humain ne se résume pas à une simple gestion des ressources humaines. C'est une véritable problématique que chaque organisation se doit de prendre en compte. Pour autant, simplifier le capital humain aux seules compétences des individus serait réducteur. En effet, il existe une dimension psychologique et comportementale à prendre en compte afin de cerner toute la complexité de cette forme de capital.
L’universitaire canadien Nick Bontis propose une définition du capital humain sous 3 axes incluant : les compétences, les attitudes et l’agilité intellectuelle. Ces trois axes rassemblent l’ensemble des ressources intangibles à disposition des entreprises (Bontis, 1998). Elles se rapprochent fortement de l’analyse réalisée par l'université de Bordeaux sur le capital humain. Cette analyse conclut sur une composition en 3C (Compétence, Comportement, Créativité) du capital humain que l’on retrouve en détail dans le tableau ci-dessous.
Figure : Les composantes du capital humain (Stéphane Trebucq, 2015)
Enfin la récente définition proposée par l’International Integrated Reporting Council (IRCC) semble prendre en compte les différents aspects du capital humain énoncés jusque-là. Selon l’IRCC le capital humain représente « Les compétences, aptitudes, expériences des personnels ainsi que leur motivation pour innover, mais aussi leur alignement et leur adhésion aux règles de gouvernance, aux méthodes de gestion des risques et aux valeurs éthiques de l’organisation ; leur capacité à comprendre, élaborer et mettre en œuvre la stratégie de l’organisation ; leur loyauté et leur motivation à améliorer les processus, produits et services, ainsi que leur capacité à diriger, gérer et collaborer. » (IRRC, 2013, p14)
Maintenant défini, une autre problématique persiste concernant le capital humain : sa mesure. Mesurer le capital humain est une étape indispensable pour mettre en œuvre les formes de management et les décisions qui conduiront à la performance de l’entreprise.
Auteur : Yanice Mezair
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