L'impact du capital humain sur la performance des entreprises
- momokamara5
- 8 mars 2024
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À l'échelle d’un pays, l’investissement dans le capital humain peut avoir jusqu’à un point de PIB par an (Andrieux, 2016). Les économies d’Asie sont un exemple de l’importance du capital humain et de son impact sur la croissance. Important une grande partie de leur énergie, elles ont pour autant eu une croissance rapide grâce aux compétences et à la force de travail de leur population. A l’échelle des organisations, on assiste à une évolution des facteurs de compétitivité passant des actifs matériels et financiers à des actifs immatériels. Une étude menée par EY Center for Board Matters montre que la valeur de marché des entreprises est composée à 52% par ses actifs immatériels. Le capital humain joue alors un rôle central dans la création de richesse et dans la performance des entreprises.
1) Le capital humain source d'avantage compétitif durable
Jusque dans les années 1970 l’analyse de la performance d’une organisation était centrée autour de sa productivité et de son efficacité. La bureaucratie et la standardisation des tâches étaient mises en avant par l’économiste Max Weber et l’ingénieur Frederick Taylor comme des formes d’organisation sources de performances. Cette vision finit par s'atténuer avec le développement du capitalisme laissant place à une vision plus financière de la performance. L’économiste américain Milton Friedman énonçait que les entreprises n’avaient pas d’objectifs plus élevés que la maximisation des profits pour les actionnaires. Cette pensée est soutenue par les travaux des économistes Mickael Jensen et William Meckling. Ces derniers au travers de la théorie de l’agence soulignent l’importance de la maximisation des revenus des actionnaires. A l’opposé de cette théorie promouvant la shareholder primacy le philosophe Edward Freeman développe la stakeholder theory qui marque le début d’une performance prenant en compte l’importance des parties prenantes d’une organisation et plus particulièrement ses salariés.
De nombreux auteurs tels que Roger Penrose (1959) ou encore Jay Barney (1991) se sont intéressés aux différences de performance entre les entreprises. En effet, certaines entreprises parviennent à produire et maintenir un avantage concurrentiel durable dans le temps, tandis que d’autres ne parviennent pas à suivre l’intensité concurrentielle. Ce clivage est d’autant plus vrai lorsque l’on prend en compte le capital humain. En effet, contrairement aux choix stratégiques ou aux outils utilisés, le capital humain a la particularité de ne pas être imitable. Comme chaque cerveau est unique chaque humain l’est également, ainsi leurs compétences sont une source d’avantage que les entreprises peuvent utiliser sans se soucier de se faire rattraper par la concurrence. L’avantage concurrentiel dont est source le capital humain peut être appréhendé sous l’angle de la théorie des ressources. En effet le capital humain répond aux critères d’une ressource rare et difficilement imitable au sens de la théorie des ressources (Barney 1991). Il représente pour les entreprises une ressource et un enjeu stratégique et demeure un facteur clé de différenciation. Ainsi les entreprises peuvent se prémunir face à l’effet « reine rouge » qui désigne en stratégie l’impossibilité pour une entreprise d’améliorer sa performance et développer un avantage concurrentiel sur le long terme en raison de la modification constante de son environnement concurrentiel. Le capital humain est donc un moyen qui si correctement utilisé par l’entreprise lui permet de construire un avantage concurrentiel durable car il est difficilement imitable par la concurrence (Hatch & Dyer, 2004).
D’autre part avec le passage à une économie du savoir et de l'information, les actifs physiques ne sont plus la principale source d’avantage concurrentiel (Stewart 1997, Foray 2006). Si bien que le capital humain et plus précisément le capital humain spécifique à la firme tend à devenir un véritable facteur clé de succès (Hatch & Dyer, 2004). On assiste à une évolution des choix stratégiques dans la mesure où les investissements intangibles dépassent ceux réalisés dans les actifs tangibles. On peut distinguer deux types de stratégies concernant la gestion du capital humain (Thomas Kochan & al., 2013) : « high road strategy », « low road strategy ». La première fonde son avantage compétitif sur l’investissement dans les employés. En augmentant la satisfaction des employés on diminue le turnover, ces derniers deviennent plus efficaces et fournissent des produits et services de meilleurs qualités. La deuxième cherche à diminuer les coûts associés aux employés pour se différencier par les prix.
Aujourd'hui les stratégies reposent essentiellement sur des modèles de planification et de budgétisation sophistiqués afin de déterminer quelle activité doit être développée. Or ces choix stratégiques ne sont pas efficaces pour contrer les forces concurrentielles des entreprises qui, dans un marché ultra-concurrentiel et riche en informations, peuvent facilement imiter ces positions stratégiques. En revanche, les compétences internes d’une entreprise sont difficilement imitables. Les entreprises sont donc amenées à orienter leurs stratégies vers la recherche d’avantages dynamiques et durables en se tournant vers la formation et le développement des employés. Ces derniers représentent des ressources stratégiques clés si bien que la recherche de performance des entreprises doit être construite autour du capital humain. (A. Bartlett, S. Ghoshal, 2002).
2) L’impact du capital humain sur la performance
« La religion du chiffre unique est trompeuse » (J. Stiglitz, 2009).
Longtemps la performance des entreprises était évaluée sur la base d’indicateurs purement quantitatifs tels que les ratios de marge et les ratios de retour sur investissement. Ces dernières années on assiste à une mutation des organisations si bien que les outils et méthodes d’évaluation traditionnels de la performance par le contrôle de gestion ne suffisent plus. En effet ils ne prennent pas en compte ou du moins pas assez l’impact du capital humain sur la performance organisationnelle, opérationnelle et financière.
2.1) Impact sur la performance organisationnelle et opérationnelle
Lorsque l’on se réfère à la définition originale de la performance on revient à mettre en relation les objectifs à atteindre, les moyens mis en œuvre pour y arriver et les résultats obtenus (Gibert, 1980). Au sein d’une organisation avec un capital humain élevé, l’efficience et l’efficacité peuvent être optimisées grâce aux compétences et savoir-faire des collaborateurs qui sont à même d’atteindre les résultats souhaités (efficacité) tout en utilisant le moins de ressources possibles (efficience).
D’un point de vue organisationnel, le développement du potentiel humain d’une entreprise est un levier lui permettant de réduire les dysfonctionnements potentiels. En effet avoir un effectif mieux formé et plus compétent influe sur la réduction des erreurs, des répétitions et permet d’aborder la charge de travail plus efficacement. Un capital humain plus développé et mieux formé amène logiquement à une plus grande performance organisationnelle. De plus une gestion efficace du capital humain permet à l’entreprise d’améliorer ses indicateurs clés de la performance organisationnelle tel que l’absentéisme ou le taux de turnover. Une étude menée sur 44 usines et 4000 employés prouvent que les efforts réalisés par une entreprise en termes de sélection, de développement et de rétention du capital humain entraînent une amélioration de sa performance organisationnelle (Appelbaum, 2000).
Certains auteurs parlent de High Performance Work System (HWPS) pour mettre en avant les pratiques de gestion visant à obtenir une meilleure productivité des salariés et par conséquent une plus grande performance (Selden et al., 2013). Fabling et Grimes (2010) ont démontré l’existence d’une relation positive entre un HWPS et la performance d’une organisation. En effet, ils soutiennent que les entreprises investissant dans un HWPS obtenaient des résultats en termes de profitabilité et de productivité supérieure aux entreprises qui ne le font pas. La performance organisationnelle est améliorée grâce aux investissements réalisés vers les employés. En améliorant leurs connaissances et compétences, ces derniers deviennent plus conscients et réalisent leurs tâches plus efficacement. En effet, quand les employés travaillent pour une entreprise qui valorise son capital humain, ils tendent à être plus motivés et sont davantage engagés dans la réalisation de leurs tâches. Une étude menée sur l’engagement des individus au travail montre que l’engagement d’un employé dans ses missions à un impact positif sur l’activité de l’entreprise (Culvelson, 2002). D’autre part l’engagement des employés permet de réduire le taux de turnover garantissant à l’entreprise une meilleure gestion de ses dépenses de recrutement, de remplacement et de formation (Allen, Meyer, 1990).
Du point de vue opérationnel, les employés ayant un niveau de capital humain élevé sont considérés comme faisant partie des membres les plus innovants et sont des atouts de valeurs pour l’organisation (Ahonen 2002). Il est nécessaire pour les entreprises d’identifier ces individus, de les retenir et de les faire progresser. Un turnover volontaire de la part d’une entreprise résulte en la migration de ces employés vers des entités compétitrices au sein même de l’organisation. Au contraire un turnover involontaire impact négativement la performance opérationnelle. En effet, il existe une relation décroissante entre le taux de turnover et la productivité (Dess, Shaw, 2001). De même, le taux de turnover peut être appréhendé sous l’angle de la satisfaction des employés. La satisfaction du travail est associée à la façon dont les employés perçoivent, pensent et ressentent leur travail (Spector, 1997). Selon Martensen and Gronholdt (2001), la satisfaction des employés est liée positivement à la loyauté envers l’entreprise. Quand les employés se sentent en confiance et dans un environnement sécuritaire, le taux de turnover diminue (Muchinsky & Morrow, 1980). Cela démontre que les entreprises qui prennent en considération le bien-être de leurs salariés peuvent réduire leur taux de turnover et diminuer les coûts liés au recrutement. Le taux de turnover représente ainsi un indicateur de performance.
D’autre part, les revenus et la marge opérationnelle diminuent lorsque le niveau de capital humain d’une organisation baisse (Bontis et Fitzenz 2002). Enfin, l'expérience, l’éducation et la formation au travail sont des facteurs déterminants de la performance opérationnelle (Horowitz et Sherman 1980). Ces éléments sont des preuves de l’impact que peut avoir le capital humain sur la performance organisationnelle et opérationnelle d’une entreprise
2.2) Impact sur la performance financière
Le coût de négligence du capital humain n’est pas évident à évaluer. Un siècle après Ford, une étude d’Ernst & Young au titre révélateur, « Le capital immatériel, première richesse de l’entreprise » (mars 2007), estimait que l’immatériel détenu par les entreprises représente 60% du total de leur actif et constate que 36% seulement est inscrit dans leur bilan. L'échec de développement de cette forme de capital peut engendrer de lourdes conséquences et dégrader la performance financière des entreprises.
Dans leur œuvre « Building Competitive Advantage through People » Bartlett et Ghoshal démontrent que bien qu’indispensable à la performance et à la réussite d’une entreprise, le capital financier et les ressources financières ne sont plus la source principale de croissance. Le succès d’une organisation repose indéniablement sur ses collaborateurs. Les coûts qu’elle serait amenée à supporter par manque de considération de ces derniers sont donc non négligeables. Le courant des coûts cachés dont est à l’origine le Professeur Savall et qui est développé par Laurent Cappelletti illustre ce propos. Il fait référence aux « non-productions et les pertes de clientèles liées au manque de compétences des commerciaux » (Laurent Cappelletti, 2012, chapitre 3) et représentent les pertes financières auxquelles les entreprises devraient faire face en raison d’un niveau de capital humain trop faible.
Si l’impact du capital humain sur la performance financière peut être difficile à mesurer, il semble évident que le manque de considération d’une entreprise pour ce dernier est source d’un manque à gagner. De nombreuses études ont été menées pour tenter d’apporter une réponse quant au lien supposé entre capital humain et performance financière. C’est notamment le cas de l’étude réalisée par William et al. qui s’est intéressé à 135 entreprises cotées sur le marché italien entre 2008 et 2017. Ce dernier conclut sur l’existence d’une influence positive du capital immatériel sur la performance financière. Plus précisément c’est selon lui la composante humaine de ce capital qui impact de manière positive la performance des entreprises étudiées. Selon Oviedo-Garcia, Castellanos-Verdugo, et Sancho-Mejías (2014), les connaissances des employés est la ressource la plus importante d’une entreprise et sa gestion joue un rôle clé dans la performance. Black Lynch (1996) et Snell & Dean (1992) pointent du doigt la corrélation positive existante entre les investissements en capital humain et la performance financière des entreprises résultant de l’augmentation de productivité. Cette performance financière découle de la performance organisationnelle (Lynham & Cunnigham, 2006).
L’étude de 38 entreprises de software a démontré que le niveau de capital humain des employés influence directement la performance des entreprises dans la mesure où ces derniers possédant un nombre de connaissances techniques importantes ils parvenaient à développer des logiciels innovants (Seleim, Ashour, Bontis, 2007). De même l’étude réalisée par Nimtrakoon en 2015 sur 213 entreprises de l'Association des Nations d'Asie du Sud-Est présentes sur le secteur des technologies a démontré l’existence d’une corrélation positive entre le niveau de capital humain et l’évolution du rendement des actifs et du retour sur action (Łukasz Bryl, 2018).
Le capital humain impacte donc directement l’ensemble des éléments immatériels de l’entreprise : l’innovation, les relations avec les clients et les fournisseurs, les brevets, l’image de marque. De plus, la mutation de notre économie vers une économie de l’information ne fait qu’amplifier cet impact. Ci-dessous a été retranscrit les résultats d’une étude sur 10 ans concernant 7 342 entreprises américaines sur la période 2007-2017 et comparant les ratios financiers des entreprises avec une orientation capital humain et les entreprises sans attention particulière au capital humain. Il en ressort que les stratégies basées sur le capital humain entraînent une plus grande rentabilité et des performances financières au-dessus de la moyenne.
Figure 6 : Indicateur financier des entreprises de l’étude du capital humain (Lukasz Bryl, 2018)
Le document ci-dessus démontre que la valeur des actions des entreprises ayant une orientation vers le capital humain a plus que doublé, tandis que le taux de rendement des entreprises de l’échantillon n’a que très peu augmenté. Concernant l’analyse de la rentabilité, le rendement moyen des actifs, des capitaux propres et des ventes dans les entreprises axées sur le capital humain sont positifs : 7,1 %,15,6 % et 9,2 % respectivement.
Ainsi le niveau de performance des entreprises tant organisationnel que financier est directement lié à son niveau de capital humain. Compter parmi ses effectifs des collaborateurs experts dans leurs domaines, créatifs et sachant travailler en équipe est gage de performance. Dès lors, les entreprises se doivent de prendre en compte le capital humain dans leurs stratégies.
Auteur : Yanice Mezair
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