Comment mesurer le capital humain ?
- momokamara5
- 8 mars 2024
- 5 min de lecture
« Les deux choses les plus importantes n'apparaissent pas au bilan de l'entreprise : sa réputation et ses hommes ». (Henry Ford, 1920)
La mesure du capital humain est un enjeu phare pour les entreprises, leur permettant de constater son évolution et de prendre de meilleures décisions. En effet, pour bénéficier pleinement des avantages dont il est source, il est nécessaire de le mesurer précisément.
Du point de vue comptable, ni le référentiel français (PCG) ni le référentiel international (IFRS) n’admet l'inscription du capital humain à l’actif du bilan. Un des principaux critères à la comptabilisation d’un actif incorporel selon l’IAS 38 réside dans son caractère identifiable. Il doit en ce sens être « séparable, c'est-à-dire qu'il peut être séparé de l'entité et être vendu, transféré, concédé par licence, loué ou échangé, soit de façon individuelle, soit dans le cadre d'un contrat, avec un actif ou un passif lié » (IAS 38). Or l’entreprise ne possède pas de droits de propriété sur ses salariés. En ce sens, le capital humain ne peut pas être acheté ni vendu mais seulement loué. D’autre part, pour activer son capital humain au bilan, l’entreprise doit être en mesure d’évaluer la rentabilité future qu’elle en attend. Or évaluer de façon précise la rentabilité qu’une entreprise peut tirer de ses investissements en capital humain semble délicat. Le capital humain est propre à chaque individu et lui est entièrement lié, si bien qu'à son départ le stock de capital humain d’un salarié quitte également l’entreprise. Dans la mesure où le capital humain ne peut pas être séparé de son détenteur sa comptabilisation en tant qu’actif est problématique (Laurent Cappelletti, 2012). Dès lors, sa valeur est représentée en comptabilité sous la forme de charges enregistrées dans le compte de résultat au coût historique. On peut ainsi y retrouver les coûts de formation, les coûts liés au recrutement, les charges de personnel et la participation; la contrepartie étant les dettes au passif du bilan. Pour autant, si le capital humain n'apparaît pas distinctement et clairement à l’actif du bilan, il l’intègre indirectement au travers du goodwill dans le cas d’acquisition d’entreprises. En effet une entreprise est prête à investir dans le rachat d’une autre entreprise pour un montant supérieur à celui de sa valeur comptable. Cela s’explique en grande partie par la possibilité de bénéficier d’avantages économiques futurs grâce notamment au capital humain ou encore l’image de marque de l’entreprise acquise.
Du point de vue comptable, la traduction en valeur monétaire d’un concept purement immatériel est délicat. Plus précisément la dimension qualitative des composantes du capital humain sont difficilement traduites comptablement. Dès lors les investisseurs ne reçoivent qu’une information partielle sur le potentiel qui se cache derrière le capital humain d’une entreprise. La norme ISO 30414 - Management des ressources humaines - et les travaux du Sustainability Accounting Standard Board (SASB) sont des initiatives visant à offrir un cadre comptable afin de mesurer le capital humain et son impact financier. Du point de vue réglementaire, la Securities and Exchange Commission (SEC) a lancé en 2019 une obligation de communication pour les entreprises américaines sur le capital humain. On retrouve sur la scène européenne une obligation similaire via la directive 2014/95/EU.
Pour pallier à cette carence, il existe des modèles extra-comptables proposant des solutions de mesure du capital humain visant à plus de transparence pour les investisseurs.
Depuis 1977 le bilan social permet dans une certaine mesure d’appréhender le concept de capital humain. « Le bilan social récapitule les principales données chiffrées permettant d'apprécier la situation de l'entreprise dans le domaine social, d'enregistrer les réalisations effectuées et de mesurer les changements intervenus au cours de l'année écoulée et des deux années précédentes. Le bilan social comporte des informations sur l'emploi, les rémunérations et charges accessoires, les conditions de santé et de sécurité, les autres conditions de travail, la formation, les relations professionnelles, le nombre de salariés détachés et le nombre de travailleurs détachés accueillis ainsi que sur les conditions de vie des salariés et de leurs familles dans la mesure où ces conditions dépendent de l'entreprise. » (article L2312-30 du code de travail).
Le professeur américain Robert Kaplan et le théoricien David Norton, en partant du postulat que les indicateurs financiers ne sont pas suffisants pour mesurer la performance d'une entreprise, ont développé le balanced scorecard (tableau de bord prospectif) afin d’approfondir le lien entre les actifs immatériels et la performance. Cet outil se décline en 4 axes : financier, client, processus interne et apprentissage organisationnel (Kaplan et Norton, 1996). Si les indicateurs portants sur les deux premiers axes traduisent la qualité du capital humain, ce sont les indicateurs des deux derniers axes qui permettent de l’apprécier. Néanmoins le balanced scorecard ne parvient pas à mettre en avant l'interaction des différents axes entre eux, il fournit uniquement un cadre schématique aux indicateurs. Dès lors le capital humain ne peut y être mesuré précisément car il est noyé dans une multitude d’indicateurs.
L’approche scandinave développée par le professeur Leif Edvinson et l’auteur Michael Malone propose une mesure du capital humain en utilisant 5 domaines : les finances, les clients, les process, le renouvellement des ressources humaines et le développement des ressources humaines. Cette approche repose sur le navigateur de Skandia qui porte le nom d’une entreprise suédoise qui a développé un rapport supplémentaire à son rapport annuel visant à étayer son capital immatériel. Ce navigateur propose une batterie d'indicateurs pour chacun des précédents domaines qui permettent d’apprécier les investissements immatériels de l’entreprise (Edvinson, Malone, 1999). Cette approche permet d’appréhender la valeur et l’influence du capital humain au sein d’une entreprise. Cependant il reste noyé dans un nombre trop important de données empêchant une mesure précise.
Figure 3 : Le navigateur de Skandia (Edvison, Malone, 199)
Le modèle socio-économique de Laurent Cappelletti reste à ce jour le modèle le plus adapté pour mesurer le capital humain. Ce modèle repose sur le constat initial que le manque de compétences des individus d’un point de vue technique et managérial entraîne des dysfonctionnements au sein d’une organisation. Ces dysfonctionnements sont des « coûts cachés » pour l’entreprise car ils ne peuvent être reflétés de manière précise dans les états financiers. Dès lors « le capital humain est mesurable sur une période par la mesure de l’évolution des dysfonctionnements et des coûts cachés qu’ils engendrent » (Laurent Cappelletti, 2012). Selon ce modèle la valeur du capital humain varie en fonction des coûts cachés qui eux même découlent des compétences et du management. Ce modèle suit une méthodologie en deux étapes :
Première étape : Diagnostic socio-économique en T
Cette première étape consiste en la réalisation d’entretiens qualitatifs dans le but d’évaluer les compétences d’un groupe d’individus et d’identifier les dysfonctionnements existants. On cherche ici à repérer la cause des coûts cachés.
Dans un second temps, il convient de réaliser des entretiens quantitatifs visant à calculer ces coûts cachés.
Une fois les coûts cachés évalués, il est nécessaire de mettre en place des actions visant à réguler les dysfonctionnements.
Deuxième étape : Évaluation socio-économique en T+1
Réalisation d’un deuxième diagnostic pour identifier et évaluer les nouveaux dysfonctionnements, coûts cachés et compétences.
Comparaison des variations entre les deux diagnostics
Si on constate une diminution de nos trois indicateurs on peut conclure sur une amélioration du management
Si on constate une amélioration des compétences, cela implique une augmentation du capital humain.
Une première proposition liée à la mesure du capital humain ressort. Si le modèle socio-économique offre une méthodologie de mesure du capital humain, dans la pratique il semble que son évaluation peine à se matérialiser. « La recherche de la valeur du potentiel humain est légitime mais elle ne conduit pas nécessairement à l'inscription d’une somme à l'actif du bilan » (Congrès de l'Ordre des experts-comptables, 1984). L’absence d’informations dans les états financiers ne doit pas entraîner un manque de considération de cette forme de capital. En effet il peut être source d'avantages financiers et de performance encore faut-il lui associer un management qui lui permet d’être valoriser.
Auteur : Yanice Mezair
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